Prospective et Évolution du métier d’architecte - Jean-François ESPAGNO – croa Occitanie
1 - CONSTAT : ARCHITECTE, UNE AVALANCHE DE PROBLÈMES
Architecte : un beau métier qui cumule les problèmes tous azimuts, notamment si on le compare aux autres professions libérales :
UNE MAIGRE PART DANS LEUR DOMAINE ÉCONOMIQUE
Les architectes n’interviennent au mieux que dans 40% de leur domaine d’activité, le « bâtiment ». Et notamment le plus grand marché du « bâtiment » (celui des non-professionnels de l’immobilier), leur échappe à plus de 90%.
Imagine-t-on 60% des malades qui ne se feraient pas soigner par des médecins ? 60% des contentieux judiciaires sans avocat ? etc.
DES MISSIONS QUI DISPARAISSENT, UN MÉTIER NON RESPECTÉ
Nos interventions (nos missions) se réduisent comme peau de chagrin : part croissante des BET de tout poil, AMO, SPS, OPC, bientôt BIM, etc. Chacune de ces missions font partie (de fait) de la maîtrise d’œuvre. Les agences d’architecte, par leur taille et/ou leur organisation en réseaux, devraient pouvoir répondre à toutes les demandes concernant la maîtrise d’œuvre de bâtiment, ce sont elles qui devraient assumer toutes ces missions.
Sans parler des CMI, des « maîtres d’œuvre », voire des « architectes de quelque chose ». Et même des dénommés « architectes » en dehors du « bâtiment » : le respect du titre est une composante importante de la survie d’un métier.
Que se passerait-il si je nommais mon agence « Centre médical d’architecte », ou « Office notarial architectural » ? La réponse des professions réglementées concernées serait immédiate et virulente.
UNE CLIENTÈLE DIFFICILE
Nous n’avons pas de clientèle acquise spontanée. D’une part, nos clients non-professionnels de l’immobilier ne font construire que rarement, 1 ou 2 fois peut-être dans leur existence, et d’autre part, nos clients professionnels de l’immobilier (promoteurs, marchés publics) nous font en général subir une mise en concurrence importante - on voit parfois plus d’une centaine d’agences sur le même projet !
Enfin, si des clients potentiels viennent nous voir directement, il nous reste à les convaincre du bien-fondé de nous confier leur projet : 90% du travail de persuasion est à venir et dépend de nous directement.
Tout cela est très aventureux. Les architectes, quels qu’ils soient, n’ont aucune fiabilité sur leurs revenus à venir. Nos agences n’ont aucune pérennité et, partant, aucune valeur intrinsèque.
A l’inverse, quand une personne pousse la porte d’un professionnel libéral, autre qu’architecte (médecin, avocat, géomètre,…), il en sera le client dans plus de 90% des cas.
DES REVENUS TRÈS FAIBLES
Les revenus des architectes sont faibles, les plus faibles des professions réglementées. Et le revenu moyen, s’il est acceptable en lui-même (43000€ en 2016), ne fait pas état de l’éventail très large des revenus effectifs (75% des architectes en dessous de ce revenu et un revenu médian de 26600€ en 2014). Beaucoup d’architectes ont des revenus au niveau du SMIC, voire moins (un quart des architectes déclaraient ne gagner que 500€ mensuels en 2014).
Les procédures d’attribution des marchés publics de maîtrise d’œuvre génèrent des rabais d’honoraires inacceptables.
En outre, ces revenus sont très aléatoires d’une année sur l’autre, une agence d’architecte n’a pas de pérennité financière.
UNE PRODUCTION CENSURÉE
Nous sommes soumis à la censure des Pouvoirs Publics, par le biais des règlements d’urbanisme qui nous imposent très largement une conception standardisée et sans fondement culturel, donc une conception architecturale de mauvaise qualité. Pourtant, cette conception est le cœur de notre métier et elle est reconnue d’intérêt public. Il y a là une contradiction inacceptable.
En outre, les demandes d’autorisation d’urbanisme ne sont pas instruites différemment quand elles sont établies par un architecte, ce qui nie de fait la valeur de notre intervention.
Enfin, le carcan des procédures de mise sur le marché de techniques de construction innovantes (Avis technique, défaut d’assurance, etc.) bloque notre capacité de faire évoluer ces techniques. Or c’est l’innovation qui amène le progrès, et l’innovation est le domaine d’excellence des architectes.
UNE RESPONSABILITÉ DÉLIRANTE
Nous subissons une responsabilité professionnelle dont l’étendue est délirante.
Nous sommes responsables de notre travail - ce qui est normal dans le principe, bien entendu – de façon trop étendue : responsabilités juridiques, règlementaires (je doute qu’il soit possible d’avoir une liste exhaustive de toutes les réglementations à respecter), techniques (un architecte ne peut pas maîtriser lui-même toutes les techniques actuelles de construction). L’étendue de notre responsabilité est trop vaste à maîtriser pour une seule entité professionnelle, elle est donc de fait impossible à assumer.
Nota : une bizarrerie : les architectes ayant été très largement dépouillés de la conception de bâtiments (voir ci-dessus), nous ne sommes pas responsables de ce qui fait le cœur de notre métier, à savoir la création architecturale elle-même. La qualité de cette création n’est pas juridiquement remise en cause.
Et nous sommes responsables du travail des tiers (les entreprises de construction, les bureaux d’études, …), même si nous n’avons aucun lien contractuel avec eux ! Il me semble que c’est unique dans le Droit français, et tout à fait anormal et scandaleux. Le Code Civil comporte une erreur lourde, celle d’assimiler les architectes à des « constructeurs », au même titre que les entreprises de construction. Le métier d’architecte, profession libérale, est de conseiller ses clients en toute indépendance. Pour cela, il ne peut pas vendre (ni co-vendre, si l’on peut dire) les travaux à ses clients – comme un médecin ne vend pas de médicaments, il les prescrit. Nous rendre co-responsables de fait des malfaçons techniques des entreprises viole notre statut de professionnel indépendant, et donc de ce fait viole notre fonction, notre raison d’être. Plus d’indépendance = plus d’architecte.
2 - OBJECTIF : UNE PROFESSION « NORMALE »
A l’instar des autres professions libérales, pourquoi les architectes n’auraient-ils pas un exercice « normal » de leur métier ?
C’est-à-dire :
- UN TITRE RESPECTÉ, UNE CLIENTÈLE SPONTANÉE ET DÉJÀ CONVAINCUE
- UNE POSITION GÉNÉRALE ET CENTRALE DANS LE « BÂTIMENT »
- DES REVENUS CORRECTS POUR LA GRANDE MAJORITÉ DES ARCHITECTES
- UNE CRÉATION ARCHITECTURALE PRISE EN CONSIDÉRATION
- UNE RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE NORMALE
3 – QUEL CHEMIN PRENDRE ? ATELIER DE RÉFLEXION DU CROA-Oc
C’est-à-dire : que faut-il modifier pour que nous nous dirigions vers cet exercice normal de notre métier ?
« Si tu ne changes rien, rien ne changera. »
Pourquoi le Conseil Régional de l’Ordre des Architectes s’inquièterait-il des conditions d’exercice désastreuses des architectes ?
Parce que l’architecture est à la fois son affaire et l’affaire des architectes.
Et que le Conseil Régional, composé d’architectes soucieux de l’intérêt public (leur candidature à ce poste le montre), sans être dans l’urgence ni la revendication partisane, peut avoir le recul, la sérénité nécessaire pour réfléchir et montrer le bon cap et le bon chemin pour y arriver.
4 - OBJECTIF : DES VOIES POUR Y ARRIVER
A l’instar des autres professions libérales, pourquoi les architectes n’auraient-ils pas un exercice « normal » de leur métier ?
C’est-à-dire : QUELS FONDAMENTAUX POUR UN MÉTIER D’ARCHITECTE ?
Nécessité d’une maîtrise d’œuvre indépendante
Le monde du « bâtiment » n’est pas celui de « l’industrie ».
Faire construire implique :
- Un engagement préalable (un « achat ») avant la réalisation du produit
- Une fabrication du produit unique (prototype), largement manuelle, par des intervenants différents.
L’opération comporte forcément une part de risque, elle est par nature aventureuse.
Le client-maître d’ouvrage doit donc confier le pilotage de l’opération à un maître d’œuvre indépendant des entreprises qui veillera ainsi à ses intérêts. Ce maître d’œuvre, c’est l’architecte.
Complexité d’une opération de construction
La construction est devenue de plus en plus complexe depuis une centaine d’année :
- Complexité technique, notamment due aux nouveaux équipements (fluides, etc.), aux nouveaux matériaux (de tous ordres),
- Complexité réglementaire – on arrive actuellement à saturation
- Complexité juridique : la multiplication des intervenants spécialisés créé des problèmes juridiques
Il en résulte qu’une seule personne ne peut plus cumuler tous les savoirs et tous les savoir-faire, fut-elle architecte.
UN TITRE RESPECTÉ, UNE CLIENTÈLE SPONTANÉE ET DÉJÀ CONVAINCUE
Maîtrise d’œuvre indépendante
Cela passe par la notion de « maîtrise d’œuvre indépendante des intérêts des constructeurs » (au sens juridique du terme, c’est-à-dire de ceux qui vendent directement les travaux au maître d’ouvrage. Il faut faire appréhender à tous cette notion de maîtrise d’œuvre, indispensable dans l’acte de construire (ici, développement). Ce sera ma mission des Pouvoirs Publics, assisté par l’Ordre des Architectes, en charge d’une délégation de mission publique.
Mission de base
Cela passe par le monopole d’une mission de maîtrise d’œuvre (à définir) dévolue à un architecte, professionnel formé et reconnu par l’État et figurant sur le Tableau d’une profession réglementée appliquant un Code des Devoirs professionnels.
Respect du titre d’architecte
Ce monopole demande que le titre d’architecte soit l’usage exclusif des professionnels inscrits au Tableau de l’Ordre des architectes. Aucune exception ne devra être tolérée. L’Ordre des Architectes, en charge de l’application de cette loi, devra avoir une action plus efficace, pour un résultat sans faille.
Responsabilité de la maîtrise d’œuvre à qui l’exerce
Cela passe aussi dans la loi, où la nécessité d’une maîtrise d’œuvre indépendante étant incontournable, elle sera, de fait, dévolue au client-maître d’ouvrage si celui-ci décide de se dispenser d’architecte. Ce qui implique qu’en cas de sinistre et/ou de contentieux, la responsabilité de la maîtrise d’œuvre sera retenue à l’encontre du maître d’ouvrage sans architecte : il sera alors considéré comme étant lui-même son propre architecte et il en assumera les conséquences de tous ordres, y compris financières.
Les rôles et responsabilités de chacun des acteurs de la construction, ici constructeur (entreprise) et architecte, seront mieux définis :
Constructeur = concevoir techniquement et réaliser des ouvrages conformes aux règles de l’art
Architecte = concevoir architecturalement, assurer la maîtrise d’œuvre et le pilotage de l’opération.
Des professionnels mieux formés
Enfin, cela passe par une formation professionnelle plus et mieux orientée sur l’accomplissement du métier d’architecte (technique, juridique, commerciale, management, …) quitte à ce qu’elle soir moins orientée sur la conception architecturale qui est une compétence plus personnelle et évolutive pendant toute une carrière.
Ainsi, la population dans son ensemble ayant connaissance, donc reconnaissance, de l’utilité du métier d’architecte, se tournera davantage vers les architectes, professionnels de confiance.
UNE POSITION GÉNÉRALE ET CENTRALE DANS LE « BÂTIMENT »
DES REVENUS CORRECTS POUR LA GRANDE MAJORITÉ DES ARCHITECTES
UNE CRÉATION ARCHITECTURALE PRISE EN CONSIDÉRATION
UNE RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE NORMALE
(c’est point restent à traiter, ils pourront l’être avec les réflexions et contributions des conseillers, pour avancer).
NOUVELLE MISSION, NOUVEAU POSITIONNEMENT DES « ARCHITECTE 2020 »
Ne plus apparaître comme étant le « vendeur des travaux » (constructeur) mais comme étant le « conseiller du client », le pilote pour le faire arriver à bon port.
Quelques voies possibles :
- Pas d’engagement sur un résultat quantifié,
- Intervention et rémunération par courtage sur la partie « travaux » ( ? à étudier)
- Un report des responsabilités techniques sur les constructeurs (artisans, b.e.t., etc.)
- Une compétence accrue sur la dimension juridique de l’opération (car on en a déjà la responsabilité et personne d’autre ne peut avoir cette responsabilité, dévolue au « capitaine » de l’opération),
Puis, évidemment, mise au point de cet engagement, matérialisée par la mise au point et validation (CNOA, MAF,… ) d’un nouveau contrat.
Puis campagne d’information et de notoriété sur cette nouveauté.
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Ce document est une base de travail. Si le Conseil le veut, il pourra être poursuivi pour tenter d’obtenir des résultats concrets, tel que de nouveaux contrats d’architecte, une évolution de la loi, etc.
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